Lectures d’Outre-Mer. La confrérie des Éveillés de Jacques Attali.


Page couverture du roman
Page couverture du roman

Les derniers jours que je passe au Maroc je les consacre à la lecture des dernières pages d’un livre acheté à Rabat, La confrérie des Éveillés de son auteur, l’incollable Jacques Attali. Le roman est on ne peut plus passionnant. Sa lecture est un pur plaisir à la fois intellectuel – puisqu’il me plonge dans un monde indubitablement riche en savoir philosophique, politique, économique, culturel et social – et romanesque – les événements racontés sont complètement réels mettant en vedette des personnages ayant bel et bien existé, notamment les deux protagonistes Ibn Rushd, le grand philosophe musulman et Ibn Maymoun, le célèbre philosophe juif. Les deux personnages  partent, sous mandats différents et pour des objectifs incertains, à la recherche d’un mystérieux livre le « plus important à avoir jamais été écrit par un être humain » qui aurait été rédigé secrètement par le philosophe grec, Aristote et dont la protection aurait été confiée de génération en génération à des hommes tout aussi sulfureux les uns que les autres. Ce sont ces hommes qui forment la funeste Confrérie des Éveillés, en faisant allusion au personnage du roman Hay Ibn Yaqdan, en arabe ou Vivant fils de l’Éveillé, créé par le fameux philosophe, médecin et homme d’État andalou, Ibn Toufayl (d’ailleurs lui aussi est un personnage-clé du roman d’Attali, car il incarne le rôle du mandataire qui envoie Ibn Rush à la recherche du livre secret d’Aristote).

Or, au-delà de l’aspect anecdotique du roman, Jacques Attali nous livre un portrait quasi mimétique de l’époque dans laquelle se déroulent les événements: l’époque de l’Islam en Andalousie. Comme le dit l’auteur, pendant que le monde occidental plongeait encore dans l’obscurantisme du Moyen-âge, les Musulmans, avec l’incommensurable leadership de l’Islam dans pratiquement tous les domaines du savoir humain de l’époque, faisaient vivre le monde entier des siècles

d’immenses richesses intellectuelles, culturelles, scientifiques, sociales et politiques.  Cette époque-là, serait-elle envisageable encore aujourd’hui? Voici un extrait du livre:

Bien avant le tournant du millénaire, pendant que les royaumes chrétiens d’Europe étaient encore dans les limbes, les princes omeyyades, chassés de l’Orient par les Abbassides, avaient débarqué en Andalousie avec des troupes berbères et des Yéménites, et avaient édifié un empire autonome allant jusqu’au nord de Tolède. Un empire puissant : le plus grand du monde à l’époque, à côté du chinois. Et riche : la pièce d’or de Cordoue était devenue la principale monnaie pour les échanges. Et tolérant : chrétiens et juifs, considérés comme des dhimmis, des protégés, étaient certes surimposés, mais respectés ; les prêtres continuaient d’officier dans les églises et les rabbis, présents dans la ville depuis la première dispersion d’Israël, six siècles avant la venue du Christ, continuaient d’enseigner dans les synagogues. Les princes musulmans avaient mis en place des institutions très élaborées, contrastant avec le désordre qui régnait au sein de la chrétienté ; leur marine dominait la Méditerranée ; ils construisirent à Tolède les jardins de la Transparente, puis, à Grenade, le palais de l’Alhambra et à Cordoue la plus grande mosquée du monde – copie de celle d’Al-Aqsa qui venait d’être édifiée à Jérusalem –, dont la voûte centrale était soutenue par plus de mille colonnes.
Cordoue était devenue la capitale d’un immense empire musulman, héritier de Rome, s’étendant des lions de l’Afrique aux colombes de l’Estrémadure. Elle était devenue la ville-phare si vantée, l’« ornement du monde », la cité au million d’habitants, aux cent mille boutiques, aux mille écoles, aux mille six cents mosquées et aux trois mille piscines.
Des marchands venus du royaume franc, de Toscane, des mers du Nord, des rivages de l’Inde, de Bactriane et des empires d’Afrique et de Chine y avaient apporté la canne à sucre, le riz, le mûrier, le travail de la soie et du cuir ; ils avaient fait de cette ville perdue au milieu des terres andalouses la cité la plus prospère d’Occident, le premier centre commercial à l’ouest de l’Inde, le point de confluence de toutes les intelligences, le lieu de rencontre de toutes les religions, le refuge de ceux qui fuyaient l’obscurantisme. »

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