L’effet Pygmalion ou les conséquences néfastes des préjugés.


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Les enfants des milieux défavorisés réussissent moins bien que les autres à l’école : c’est à la fois un lieu commun et une triste réalité. Les raisons en sont multiples, et abondamment discutées depuis longtemps; mais dans les années 60, un psychologue américain a proposé une nouvelle hypothèse déconcertante.

Si certains enfants défavorisés finissent en échec scolaire, c’est peut-être à cause des préjugés – mêmes inconscients – de leurs enseignants. En considérant par avance que ces enfants seront en difficulté, ils contribueraient à provoquer ces difficultés. Une sorte de prophétie auto-réalisatrice, mais qu’il est possible de retourner au profit de l’enfant.

L’expérience d’Oak School

Pour tester son idée de manière positive, le psychologue Robert Rosenthal s’est demandé si on pouvait aider un élève à progresser en éliminant chez son professeur les préjugés liés à son origine. Il a eu alors l’idée suivante : faisons croire aux enseignants que certains de leurs élèves sont surdoués, et voyons si cela change quelque chose à leur progression !

L’expérience a eu lieu sur toute une année à l’école primaire d’Oak School dans la région de San Francisco, une école avec de nombreux élèves en situation d’échec. Au début de l’année scolaire, les chercheurs ont fait passer des tests d’intelligence à tous les enfants. Mais ils ont gardé les résultats pour eux, et ils ont fait croire aux instituteurs qu’il s’agissait d’un tout nouveau test mis au point à Harvard, et destiné à détecter les élèves susceptibles de progresser de manière spectaculaire pendant l’année à venir.

Ils ont alors sélectionné au hasard 5 élèves par classe, et ils ont fait croire aux enseignants que ces élèves avaient particulièrement bien réussi le test, et qu’il ne serait pas surprenant qu’ils fassent des progrès inattendus pendant l’année.

A la fin de l’année scolaire, ils ont refait passer un test d’intelligence à tout le monde, et ils ont comparé la progression des élèves normaux, et de ceux qui avaient été aléatoirement désignés comme « prometteurs ».

Les résultats de l’expérience

Au moment de l’expérience, l’école d’Oak School comptait 6 niveaux (en gros du CP à la 6ème), et 3 classes par niveau. Les résultats de progression des élèves sont montrés dans le graphique ci-dessous, pour chacun des niveaux [1]

effet pygmalion rosenthal

Comme vous pouvez le constater, les élèves désignés comme « prometteurs » (rouge) ont en moyenne beaucoup plus progressé pendant l’année que les autres (gris). Le résultat est particulièrement concentré dans les petites classes (équivalentes au CP et au CE1). En plus d’avoir mieux réussi au test, ces élèves « élus » ont été jugés par leurs professeurs comme plus performants et plus agréables que les autres. Mais rappelez-vous, ces élèves avaient en réalité été choisis au hasard !

L’effet Pygmalion

L’explication donnée par Rosenthal pour expliquer ces résultats (et confirmer son hypothèse), c’est celle de la prophétie auto-réalisatrice. Si un enseignant pense qu’un enfant est particulièrement doué, son attitude envers lui changera. L’enfant se sentira plus en confiance, plus motivé, travaillera plus et au final progressera mieux.

Pour Rosenthal, cette différence se joue généralement simplement au niveau de l’inconscient des professeurs. Sans remettre en cause le professionnalisme ou l’équité des enseignants, des différences peuvent se créer simplement au niveau du langage du corps : la posture ou le ton de voix du professeur suffisent à renvoyer à un enfant une image différente de lui-même.

Rosenthal a baptisé cet effet Pygmalion, en référence à l’oeuvre de G.B. Shaw. Dans cette pièce, un professeur de phonétique apprend à une fille du peuple à parler et se comporter comme une aristocrate, dans le but de la faire passer pour une duchesse (Shaw s’étant lui-même inspiré du mythe grec du même nom).

Décrypter les causes

Pour préciser les résultats de l’expérience initiale de Rosenthal, plusieurs variantes ont été étudiées. Dans une réplique de l’étude réalisée quelques années plus tard, des chercheurs ont montré que la différence ne se jouait pas dans le temps passé avec chaque enfant, mais dans la qualité de l’interaction entre l’enseignant et les enfants désignés comme « élus ». Si un enfant est considéré comme particulièrement doué, les professeurs lui sourient plus, ont plus de contact visuel avec lui, se penchent plus en avant et hochent plus la tête [2].

Un aspect intriguant de l’expérience initiale, c’est que l’effet est plus marqué dans les petites classes (équivalentes au CP/CE1). On peut penser que c’est parce que les enfants à cet âge sont plus malléables ou plus réceptifs. C’est peut-être aussi parce que les élèves des petites classes ont une réputation moins établie dans l’école, et que leurs professeurs ont plus facilement accepté qu’ils pouvaient être particulièrement doués.

L’effet expérimentateur

Cette idée qu’inconsciemment un enseignant puisse influer sur le succès d’un élève peut vous paraître difficile à avaler. Et pourtant c’est une sorte d’effet placebo indirect, qui est bien documenté dans le domaine des expériences scientifiques, en particulier en médecine ou en psychologie.

Avant de faire son expérience sur les élèves d’Oak School, Rosenthal l’avait faite sur des rats ! Il avait constitué deux groupes de personnes qui avaient pour tâche d’entraîner des rats à sortir d’un labyrinthe. Au premier groupe, on disait que les rats avaient été génétiquement sélectionnés pour leur capacité à sortir des labyrinthes. Au deuxième groupe, on faisait croire que leurs rats étaient particulièrement stupides. Eh bien devinez quoi : bien que les rats soient identiques, à la fin ceux du premier groupe réussissaient mieux que ceux du second à sortir du labyrinthe !

Ce même type de phénomène existe dans les tests des traitements médicaux. En général dans l’évaluation d’un médicament, on cherche à comparer deux traitements (par exemple un nouveau médicament et un ancien, ou un nouveau médicament et un placebo). Pour éviter que le patient ne soit influencé, il ne sait pas lequel des deux traitements il reçoit : c’est le test en aveugle. Mais à la suite des travaux de Rosenthal, on a constaté que si le médecin traitant sait ce que le patient reçoit, il influe aussi inconsciemment sur le résultat ! C’est pourquoi on réalise maintenant les études en double aveugle : ni le patient, ni le médecin traitant ne savent quel traitement est donné.

Que faire de l’effet Pygmalion ?

Malheureusement il me semble que les recherches de Rosenthal ne donnent que peu d’indices sur comment profiter l’effet Pygmalion. Faire croire à des enseignants en ZEP que tous leurs élèves sont des génies ne paraît pas une solution très crédible ! Mais cela peut être une incitation de plus à réfléchir sur les effets de prophéties auto-réalisatrices dans le domaine du succès en général. Comme le disait Henry Ford

« Whether you think you can or whether you think you can’t, you’re right. »

Les plus jeunes de mes lecteurs pourront aussi penser au fameux match de Quidditch de Ron Weasley dans les 6ème volume des aventures de Harry Potter !

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Références :

[1] Rosenthal, Robert, and Lenore Jacobson. « TEACHERS’EXPECTANCIES: DETERMINANTS OF PUPILS’IQ GAINS. » Psychological reports 19.1 (1966): 115-118.

[2] Chaikin, Alan L., Edward Sigler, and Valerian J. Derlega. « Nonverbal mediators of teacher expectancy effects. » Journal of Personality and Social Psychology 30.1 (1974): 144.

Images : En-tête The Nation (AP/Jose Moreno), le graphe est de moi d’après les données de [1], Pygmalion Wikimedia commons,

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